Commençons par le début...




                Le début, d'accord mais c'est où exactement le début ? Peut-être mon premier souvenir de miel, un miel si particulier que j'ai eu l'occasion de goûter à nouveau il y a peu de temps : le miel de niaouli (un arbre qui pousse en Nouvelle-Calédonie). Cétait ma grand-mère qui nous en envoyait de temps en temps.
             
Le premier souvenir avec les abeilles, c'est cet essaim logé dans une fente de la grange devant notre maison. D'une année à l'autre, les essaims se succédaient et  l'endroit était toujours habité.
             
Puis vers l'âge de 20 ans dans la petite communauté d'amis que je fréquentais dans les Landes. L'un d'eux voulut faire l'apiculteur. Il avait trouvé des ruches à acheter en Chalosse chez des soeurs dans un couvent. Je fus de la partie et nous voilà donc partis visiter les ruches, sans voile ni tenue bien sûr, nous sommes dans les années 70 et les abeilles c'est cool...bon, parfois peut-être mais, ça avait beau être des abeilles du bon Dieu, quelle dérouillée ! Je me souviens, le lendemain, mon copain ressemblait à un boxeur et pas des meilleurs ! Je ne donnais pas ma part, moi aussi j'avais mon compte.


                      Les choses sérieuses ne commencèrent que bien plus tard...

Tout commence au siècle dernier

 

                      Nous étions tranquilles Jocelyne et moi un soir de février dans notre petit chalet à Bernos quand Fanfan et Babette surgissent et me proposent de partir les aider à aller chercher au fond d'un bois 3 ruches que leur avait données le fils Meynard. Si je les aidais, il y en aurait une pour nous. Je fus tout de suite d'accord, car j'avais toujours eu envie d'avoir quelques ruches au fond du jardin et puis surtout c'était une des ruches de Meynard .
                     
Meynard, je peux pas ne pas vous parler de lui : c'était un grand gaillard blond aux yeux bleus, chose rare dans le Médoc. "Maman", sa femme et leurs 4 enfants, tous des numéros. J'ai passé un hiver et un printemps chez eux. Je dormais avec les vaches, je les aidais aux travaux de la ferme et partageais leur vie. Je garde un souvenir plein d'émotion pour cette période de ma vie. Le pére Meynard était un des rares communistes de la région. Il avait fait l'Algérie. Ses chiens s'appellaient Pompidou ou Giscard, ce qui lui permettait de les accabler de toutes sortes de noms d'oiseaux. J'ai vu un jour un poste de radio traverser la cour à l'horizontale, justement après (ou pendant !) un discours de Pompidou... L'année précédente, c'était la télé qui avait fait une tentative de vol... Il ne faisait pas bon traverser la cour quand les chefs de l'état de l'époque s'adressaient au peuple.
                     
Hormis les vaches, les chèvres (Ah! les chèvres qui lui ont valu tant de procès !), le travail de forestier et la scierie qui tournait avec un vieux tracteur démarrant au pétrole, Meynard était apiculteur. Eh oui, depuis tout petit il était apiculteur. Je crois que c'est là qu'il était tranquille, qu'il oubliait tout : Marchais,  De Gaulle, Pompidou et les autres. Il a dû avoir pas loin de 100 ruches. Quand il était jeune, il les trimballait sur sa moto, un jour que les gendarmes lui demandaient ce qu'il transportait, il leur ouvrit la ruche ... faut dire qu'il n'aimait pas trop la maréchaussée. C'était vraiment un numéro cet homme là. Je me rappelle qu'une fois il m'avait dit : "Toi, tu devrais faire apiculteur, je suis sûr que ça t'irait bien." Alors, vous pensez que quand Fanfan et Babette m'ont proposé une ruche de Meynard, j'ai immédiatement dit oui.
                     
Nous voilà donc partis à la nuit tombée dans les bois derrière Mouralet sur des chemins boueux. Nos figures emberlificotées dans des écharpes de laine (en prévision d'éventuelles piqûres), et portant le brancard que Fanfan avait fabriqué pour transporter la ruche ! Nous avons enfumé les abeilles avec la fumée d'une pipe (!) et enveloppé les ruches dans des draps. Deux pour eux et la troisième pour nous.  Je la plaçai au fond du jardin.
                     
C'était bien beau cette nouvelle venue sur notre terrain, mais les abeilles nous n'y connaissions rien. Qu'à cela ne tienne,  je dégotte de derrière les fagots un vieux livre d'apiculture de 1890 (jeune, je collectionnais les vieux livres) et nous nous plongeons, avec Jocelyne, dans sa lecture. Ensemble, nous sommes passionnés par la vie de nos nouvelles pensionnaires. Le lendemain, Jocelyne me coud un voile autour d'un chapeau de paille et j'ouvre la ruche.

Je fus tout de suite fasciné. En quelques jours, je dévorais le livre, le lisant, le relisant du matin jusqu'au soir et semblant vouloir le connaître par coeur au point que je ne m'en séparais plus l'emportant avec moi jusque dans les toilettes. J'étais métamorphosé et je ne parlais plus que d'abeilles. Dommage, j'en ai dégouté Jocelyne qui était prête à vivre cette aventure avec moi mais décidément j'étais trop fou ! Elle me laissa néanmoins faire car elle avait confiance en moi . Juste je l'assommais avec ma nouvelle passion dont je voulais l'entretenir à tout instant. Si je suis à présent capable de parler d'autre chose (quoique...), précisons que dès que le printemps montre le bout de son nez, les symptômes réapparaissent : dans mon cerveau ça se remet à faire Bzz ... Très fort.
                 
Après avoir lu le vieux livre de 1890, vite, trés vite, j'achète une vareuse et un autre livre, celui de Y etJ Sabot : un petit traité d'apiculture qui répondait bien à toutes mes questions. J'achète également un petit enfumoir et quelques cadres et des feuilles de cire. Sûr de tout mon attirail, j'ouvre ma ruche avec la ferme intention de changer des cadres. C'était une vieille Dadant avec des cadres à pointes propolisés de partout et pour plusieurs, carrément cassés. Piteux état mais l'essaim était beau. Pendant que je changeais des cadres, un frelon s'est jeté dans la ruche. Les abeilles se sont jetées dessus et l'ont pelloté ; il n'a duré que quelques secondes, je n'ai jamais revu pareille chose depuis .
                 
Une fois la ruche refermée, il n'y avait plus qu'à attendre. Oui mais attendre ce n'était pas mon fort . Tous les jours, j'allais les voir au trou de vol. Je leur construisis une nouvelle ruche en planches à parquet. Nous avions pressé tous les rayons sortis de la ruche dans un bout de drap que nous avions pendu à la crémaillère de la cheminée. Nous avions posé une bassine sous le paquet ficelé dans laquelle coulait, goute à goute, un liquide épais qui s'avéra être un mielat de chêne mais à l'époque nous n'en savions rien, sinon que nous le trouvions délicieux .




      Le cheptel s'agrandit ! 


          Bon une ruche c'est bien, mais j'ai vu une annonce dans Le Petit Médocain : des ruches à 300 et 400 F pas très loin, à Ludon. Nous y allons et rencontrons un couple gentil. Nous achetons 2 ruches et il m'en donne une de plus en me disant : "ça fait 3 ans que je l'ai et elle ne m'a jamais fait de miel".  Donne toujours... Je me souviens, c'était juste après l' acacia et il nous à fait voir sa récolte, un beau miel clair comme de l' eau.
           
Quatre ruches dans le jardin, Super !  Nos 3 filles trouvent que Bof !  La ruche de Meynard a une hausse pleine et il va falloir l'extraire. Je vais voir madame Meynard :  elle accepte gentillement de me céder un vieil extracteur à 6 cadres.  De plus elle me donne une pile de hausses où loge un essaim . Je repars avec tout ça tout heureux ;  pour moi c' est comme un trésor. L'essaim ne tiendra pas le coup : trop petit et plein de teigne, mais l' extracteur aprés un coup de ponçage et une belle  peinture alimentaire allait s'avérer un précieux allié et réentamer une nouvelle carrière.  La saison ne fut pas bonne mais nous mangeâmes quelques kilos de notre miel  .

           
Le 23 août exactement , j'apprends qu' à Carcans, une certaine Mme Da Silva vendait des ruches 350 F  pièce. J'avais promis à Jocelyne que "je ne voulais pas plus de 10 ruches". J'en étais à 4, ça allait. Le rucher de cette charmante dame était à 1 km de l' océan juste à coté d'un étang entouré de bruyères, de bourdaine et d'arbousiers. Les ruches étaient pleines à craquer. J'en achetais ... 10. Pour faire un compte rond. Il bruinait ce jour-là et je pus les charger illico presto. J'avais trouvé un emplacement tout prêt de Bernos, prété par Monsieur Talon, dans un joli bois de châtaigniers. Celui-ci par la suite s'avéra trop sombre, mais j'y mettais mes 10 nouvelles ruches plus mes 4 premières. "Bon, c'est promis, là j'ai mon compte, je n'en veux pas plus de 15."



          La vie comme elle va 

           


            A cette époque, nous vivions dans une petite pièce de 25 m2 dans laquelle j'avais construit une mezzanine qui nous faisait office de chambre. Nous avions ensuite construit une chambre, des wc et une salle de bains. Autant dire qu'avec nos trois filles adolescentes, Marion, Amandine et Capucine, nous étions à l'étroit. Je ne pouvais me consacrer à l'apiculture corps et âme, car nous avions le grand projet de construire une grande pièce ainsi que trois chambres en étage et une buanderie. Qu'à cela ne tienne, je jonglerai ! Au printemps suivant, la chappe était faite. 

Monsieur Talon qui n'avait plus de temps à consacrer à ses 12 ruches me proposa de m'en occuper et de partager le miel. Je trouvais ces abeilles très douces et différentes des nôtres, d'un beau gris, un peu velues. Il me dit qu'il les tenait d'un monsieur décédé et qu'il croyait que c'était des Caucasiennes. Va pour les Caucasiennes ! Adieu ma promesse : j'en étais à presque 30 ruches !

Je fis sur ces ruches deux essaims par tapotements, un pour Babette et un pour moi.  J'avais le sentiment d'entrer vraiment dans le monde de l'Apiculture et j' étais fier de mes deux premiers essaims artificiels.

C'était le printemps. Dédé, le gardien de la propriété voisine vient me chercher : il y a deux essaims derrière les volets de Madame... (La châtelaine du village). Un apiculteur est venu mettre une quarantaine de ruches tout près : des hybrides italiennes, autant dire que ça sortait de toutes parts. Malheureusement, le rucher était entouré de grands chênes et les essaims se pendaient à 15 mètres de haut ; j'ai dû faire des escalades périlleuses. Je me souviens de l'une d'elles où Babette tenait la caisse à bout de bras et moi, en haut de l'arbre, qui secouais la branche où était l'essaim. Il est bien tombé, une partie dans la ruche et le reste sur Babette .

Cette année, j'en ramassais même un sur la voiture de Dédé .

Mais, le  meilleur coup de l'année et mon essaim le plus célèbre fut celui que j'appelai "l'essaim du Cours de l'Intendance". Par un bel après-midi de printemps, je suis à Bordeaux, au magasin d'apiculture quand le téléphone  sonne. "Un essaim est posé sur la roue d' une voiture en stationnement, plein centre ville, Cours de l'Intendance  (la plus grande avenue de Bordeaux). Pouvez-vous nous envoyer un apiculteur ?"  Aucun des clients présents dans le magasin ne veut y aller. Je veux bien y aller, moi. Ni une ni deux, je récupère un carton et allez hop c'est parti.  Quand j'arrive sur les lieux, les pompiers ont délimité un périmètre de sécurité et il y a la police. Je gare mon brave SG2 et je sors avec mon carton. La foule murmure sur mon passage : "Voila le spécialiste..." Un autre apiculteur était là. Je pose le carton contre la roue où se trouve l'essaim, je fabrique un enfumoir de fortune avec un bout de carton roulé et allumé. Je ramasse les abeilles à pleines mains  sous le regard de ceux qui ont le temps. Tout à coup, je me retourne et je vois deux bonshommes, l'un avec un micro et l'autre avec une caméra. C'est M6 . Je réponds à leurs questions en même temps que je rentre les "fifilles". Au bout d' une heure, tout le monde, ou presque, est dans le carton. Je le ferme et Zou !, en voiture! Sur le chemin du retour, les abeilles sortent et se collent sur la vitre arrière du SG2. Une fois à la maison, je range tout ce monde dans une belle ruche.

Je raconte mon histoire à Jocelyne que je trouve en train d'étendre le linge. Je lui donne tous les détails, je suis tout heureux et je lui précise que j'ai été filmé par la télé. Elle a l'air surpris et sourit. Vers l' heure du repas, nos filles crient à tue-tête : "Vite, venez voir, VITE !"  Nous avons juste le temps de rentrer dans la pièce : c'est la fin des infos nationales (Le 6 minutes) et voilà qu'à l'écran, après Jacques Chirac et le Pape, le Jérome, casquette en arrière, en train de ramasser l'essaim. Le commentaire du journaliste : "Il a fallu faire appel à un spécialiste pour ramasser cet essaim mal placé, bla bla bla" et moi de dire à l'écran avec ma petite voix cette phrase qui restera célèbre dans la famille : "Eh oui, quand elles essaiment elles ne sont pas méchantes !"
                             
Cette histoire redora mon  blason au village, "Vous pensez, s'ils disent à la télé que c'est un spécialiste..." J'écrivis sur la ruche : "Ruche du cours de l'Intendance", en attendant mieux. 

                Bientot la suite....